Brăila, sur les pas de Panait Istrati : Un voyage littéraire entre errance et révolte
Publié par Litteraca | décembre 17, 2025
Sur les rives silencieuses du Danube, Brăila porte encore l’empreinte de Panait Istrati, écrivain vagabond et révolté. Ville portuaire déchue, mosaïque culturelle oubliée, elle révèle, à travers ses ruelles et ses quais désertés, les origines d’une œuvre profondément marquée par l’errance, la justice sociale et la quête de liberté. Un voyage littéraire où passé et présent se croisent, guidés par la voix singulière d’un fils du peuple devenu écrivain du monde.
À quelques heures de train de Bucarest, une ville sommeille en silence sur les rives du Danube. Brăila, autrefois un carrefour commercial bouillonnant, est aujourd’hui une cité où les échos du passé résonnent plus fort que le présent. J’y suis arrivé en fin d’après-midi d’automne, lorsque le ciel roumain se pare de teintes dorées et que la ville, déjà assoupie, semble presque déserte. Les rues pavées, bordées d’anciens palais et de maisons délabrées, racontent une histoire de splendeur révolue, une histoire que j’étais venu redécouvrir à travers les mots d’un de ses fils les plus célèbres : Panait Istrati (1884-1935), écrivain roumain d’expression française.
Brăila est aussi une ville aux multiples visages culturels. Autrefois un carrefour où se croisaient des marchands et des voyageurs venant de contrées diverses; russe, bulgare, grec, turc, et bien d’autres. La ville se distingue par une richesse ethnique qui a laissé une empreinte profonde sur son identité. Cette mosaïque culturelle a nourri les récits de Panait Istrati, dont les œuvres reflètent cette diversité et les tensions qu’elle engendre.
Brăila : Le port des âmes errantes
Le premier contact avec Brăila, c’est le Danube. Le fleuve, immense et impassible, longe la ville comme un témoin silencieux de ses anciennes gloires. Aujourd’hui, les quais qui, autrefois, accueillaient des marchands du monde entier sont presque vides. Les eaux calmes du Danube reflètent le passage du temps, mais aussi l’essence même de ce lieu : un lieu de rencontres, de passages, mais aussi de départs.
En parcourant les rues presque vides, je pense à l’époque où Brăila grouillait de vie. Au XIXe siècle, cette ville était l’un des ports les plus animés d’Europe de l’Est. Les convois de blé, les bateaux de pêche, et les contrebandiers faisaient partie du décor quotidien. C’est dans cette atmosphère effervescente que naquit Panait Istrati, en 1884, fils d’une blanchisseuse roumaine et d’un père grec qui disparut avant même qu’il ne puisse connaître son fils.
L’absence du père, figure à la fois héroïque et hors-la-loi, marquera toute la vie d’Istrati, qui grandira dans une misère qui forgea ses premières révoltes. Ce Brăila du port, des docks et des travailleurs exploités fut son école de vie, celle qui l’initia à la lutte sociale et au désir d’évasion.

Panait Istrati : L’écrivain voyageur
Derrière la façade austère d’une ville en déclin se cache une autre Brăila, celle des récits de Panait Istrati. En flânant dans ces rues, il est facile d’imaginer les personnages de ses romans, des figures errantes, comme lui, en quête de liberté, de justice et d’amitié. Istrati était un écrivain vagabond, mais avant tout un homme du peuple, un homme dont les héros étaient souvent des marginaux, des ouvriers, des exclus.
L’un de ses romans les plus célèbres, Kyra Kyralina, peint un portrait de Brăila où se mêlent la pauvreté, la corruption et les destins croisés d’hommes et de femmes cherchant une forme de rédemption. Ici, dans cette ville où il a grandi, Istrati observe la dureté de la vie et développe une empathie profonde pour ceux qui luttent pour survivre. Chaque bâtiment délabré, chaque façade décrépite me rappelle cette ville des marginaux qu’il dépeint si bien.
Je me rends à l’une des rares librairies encore ouvertes dans le centre-ville, à quelques pas du théâtre de la ville, où quelques livres d’Istrati sont exposés sur une petite table poussiéreuse. À côté, un vendeur fatigué me sourit doucement. « Peu de gens lisent encore en Roumanie, et encore moins Istrati », me confie-t-il. Pourtant, pour moi, cette ville et cet écrivain sont inséparables. À travers les yeux de Panait Istrati, Brăila prend une dimension presque mythique : celle d’une cité où naît la révolte et où commence l’errance.
Après avoir quitté Brăila, Istrati deviendra un éternel voyageur. Il vagabonde à travers la Méditerranée, de l’Égypte au Liban, en passant par la France et la Suisse. Toujours à la recherche de nouveaux horizons, il accumule les métiers, les rencontres, les amitiés précieuses. Ces errances nourrissent ses récits et font de lui un écrivain profondément attaché aux valeurs de justice sociale.
Mais c’est à Paris que son destin littéraire prend une tournure décisive. Un jour, accablé par la pauvreté et la maladie, il tente de se suicider. Sauvé in extremis, il est découvert par Romain Rolland, écrivain français et pacifiste, qui deviendra son ami et mentor. Grâce à Rolland, Istrati connaît une renommée internationale. Pourtant, malgré cette gloire tardive, l’écrivain restera fidèle à ses idéaux de révolte contre l’injustice. Ses récits, peuplés de marginaux, de travailleurs et de fugitifs, témoignent de son engagement profond pour les causes des opprimés.

Le Danube, témoin des désillusions
En revenant sur les rives du Danube, je ne peux m’empêcher de penser au parcours de Panait Istrati et à ses désillusions. Si le fleuve symbolise pour lui l’évasion, il incarne aussi les retours amers. Dans les années 1920, attiré par les idéaux de la Révolution russe, Istrati entreprend un voyage en URSS. Comme tant d’autres intellectuels de l’époque, il espère y découvrir l’avènement d’une société plus juste et égalitaire. Ce qu’il y trouve, cependant, c’est la répression et la désillusion.
Il raconte cette expérience dans Vers l’autre flamme, un texte poignant où il dénonce les excès du régime stalinien. Ce retour de Russie marque un tournant dans sa vie. Pourtant, même face à cette désillusion, Istrati ne renonce jamais à son idéal de justice sociale, qu’il continuera à défendre jusqu’à la fin de sa vie.
Un héritage indélébile
En quittant Brăila, je comprends mieux pourquoi cette ville et cet écrivain restent indissociables. Brăila, c’est l’origine de tout, le point de départ de l’errance, mais aussi celui où l’on revient toujours, même après avoir parcouru le monde. Aujourd’hui, Brăila est une ville en déclin, mais elle porte en elle l’âme de Panait Istrati, cet écrivain voyageur, défenseur des opprimés, pour qui l’errance n’était pas seulement une fuite, mais une quête de sens, de fraternité et de justice.
Brăila vit encore dans ses récits, tout comme Istrati continue de résonner dans les mémoires de ceux qui l’ont lu. L’écrivain, comme sa ville, symbolise cette tension entre le passé glorieux et le présent fragile. Tandis que le Danube continue de couler, indifférent au temps, l’œuvre de Panait Istrati demeure, éternelle, comme une invitation à ne jamais cesser de chercher sa propre voie, même dans les méandres de l’existence.
David Bongard
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